Koulen VS Hobbes

Alors que le monde assiste à une augmentation du nombre de régimes autoritaires, il est intéressant de se pencher sur les fondements théoriques de tels gouvernements ainsi qu’à leur nécessité. Sans doute, l’œuvre la plus complète à ces égards est Léviathan du philosophe anglais du 17ème siècle Thomas Hobbes. Dans son œuvre, Hobbes illustre à plusieurs reprises que le souverain autoritaire est une nécessité : “Pendant que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils sont dans cet état qu’on appelle la guerre… ” (chap. XIII, par. 8, Léviathan). Thomas Hobbes appelle cela l’état de la nature humaine ; selon lui, l’humain qui vit en société a besoin d’un souverain – le Léviathan – pour empêcher cet état.

Avons-nous vraiment besoin d’un ” dieu mortel ” détenant autorité et pouvoir suprême sur le peuple ? L’essai suivant tentera d’apporter des éléments de réponse à cette question en abordant tout d’abord les principes de base sur lesquels Hobbes fonde le Léviathan, puis en examinant son raisonnement.

Notons d’abord que les principes de base sur lesquels repose le Léviathan ne sont pas des faits, mais des hypothèses.[1]En effet, tout au long du Léviathan, Hobbes affirme que l’état de nature est un état de violence où la vie est ” solitaire, pauvre, méchante, brutale et courte ” (chap. XIII, par. 9, Léviathan). Un souverain fort serait donc nécessaire pour nous protéger de cet état. Seulement, l’état de la nature humaine n’est pas nécessairement un état de violence. L’état naturel d’une bête est l’état de vie dans lequel il est le plus à son aise. Ayant établit ceci, pourquoi définir l’état de nature de l’homme comme un état dans lequel aucun homme est à son aise ? Pour les êtres humains, l’état de nature est celui où tous sont en paix les uns avec les autres, un état cependant difficile à obtenir. Il ne faut pas se leurrer, l’état de nature de l’homme n’est pas un état facile d’obtention – il est dans la nature de l’homme de boire de l’eau, mais nombreux sont ceux qui meurent de soif. Cela illustre mon propos ; les gens semblent penser que ce qui est dans notre nature est facile à obtenir, ceci n’est pas vrai. Thomas Hobbes nous dit qu’un état autoritaire est nécessaire parce que dans son état de nature, chaque homme est pour lui-même. Cependant, les humains sont des êtres sociaux et l’amour leur vient sans efforts[2]. Avons-nous vraiment besoin d’un « dieu mortel » pour nous empêcher de tuer nos femmes, maris ou enfants ?

Nous avons maintenant abordé l’idée que la description de l’état de la nature humaine dans le Léviathan pourrait être erronée. Toutefois, même si nous admettions que l’état de nature selon Hobbes est correct, il ne serait pas absurde de rejeter son argument sur la nécessité d’un souverain. Dans le chapitre XXIX, l’auteur explique ce qui affaiblit un commonwealth[3] et à partir de là la nécessité d’un souverain doté d’un pouvoir suprême. Ses arguments sont certainement bien construits, mais il semble qu’il se base sur l’hypothèse qu’une communauté ne doit pas changer et doit toujours garder la même forme. S’il est vrai qu’avec le changement vient le chaos et que les hommes ont besoin de stabilité pour vivre comme ils l’entendent, la société humaine ne peut progresser dans un état de stagnation politique totale. En effet, bien que la stabilité gouvernementale et politique est clé pour une prospérité économique et, en outre, la stabilité apporte de la sécurité, la politique n’est pas la science de la vie passable mais bien la science du bonheur[4]. L’humanité ne vivra certainement pas éternellement d’une manière tolérable et stagnante. L’homme, homo sapiens, se doit de souffrir d’un chaos politique et conjoncturel le temps de progresser vers un future meilleur afin que sa descendance ait la possibilité d’une vie meilleure. L’argument de la descendance mis à part, l’homme doit viser au progrès politique, malgré le cout élevé de la stabilité, pour lui-même – un gouvernement tolérable devient l’enfer sans la prospection d’une potentielle amélioration.  

Ceci dit, nous avons parcouru plusieurs failles dans une des doctrines les plus solides justifiant l’état fort. En particulier, on s’est opposé à l’idée d’un état de nature violent et au manque d’ambition politique que signifie la stabilité (ici stagnation) politique d’une autorité suprême. Nombreux autres arguments peuvent être développés à l’encontre d’un état autoritaire, cependant, je considère que cet essai apporte suffisamment d’éléments pour admettre de façon raisonnable que l’état totalitaire de Hobbes n’est pas la meilleure forme de gouvernement.

Maxwell Diego Toussaint Koulen


[1] L’enthymème est une argumentation suivant la structure du syllogisme, mais dont les prémisses sont des doxas et non des faits. L’enthymème est donc un sophisme. (Introduction à la Rhétorique, Olivier Reboul, p.234)

[2] Platon – Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome III, 1.djvu/118

[3] Un commonwealth est un état qui découle d’un contrat généralement tacite entre les habitants d’un même territoire.

[4] Ethique à Nicomaque, chapitre 1 par. 11 , Aristote

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